Le terme champs captants signifie « terres non argileuses par lesquelles l’eau pluviale rejoint directement une nappe d’eau potable sous-jacente ». Par champs captants du Sud de Lille, nous désignons ici l’Aire d’Alimentation des Captages du Sud de Lille (AAC).
L’AAC du Sud de Lille recouvre une grande partie du Plateau du Mélantois et une partie des vallées de la Deûle et de la Marque, qui encadrent toutes deux ce plateau crayeux. Cette nappe d’eau potable est présente dans la roche de la craie qui constitue le socle du plateau. Elle est alimentée par les pluies qui la rechargent directement et dans une faible proportion, par la Deûle. Sur le plateau, seule une couche arable, non imperméable, d’excellentes qualité agronomique, surplombe le toît de la craie. La nappe de la craie du Sud de Lille fait partie de la masse d’eau de la vallée de la Deûle.
L’AAC du Sud de Lille fournit 40% de l’eau potable de la Métropole Européenne de Lille. Elle est pompée par une quarantaine de captages situés par séries à Emmerin, Houplin-Ancoisne, Seclin, Ansereuilles Sud et Ansereuilles Nord et enfin à Wavrin et Sainghin-en-Weppes. Chacune de ces séries de captages est reliée à un territoire d’alimentation qui lui est propre. Ainsi l’eau qui tombe à un endroit alimente systématiquement tel captage et pas un autre, aspirée par la force du pompage.
La nappe de la craie du Sud de Lille est une nappe libre, affleurante, très sensible aux pollutions. C’est la raison même de ce périmètre de protection qu’est l’Aire d’Alimentation des Captages du Sud de Lille. Il s’agit en effet de garantir le niveau d’eau de la nappe et sa qualité. Ce qui revient à s’assurer que le territoire maintienne son niveau de perméabilité et soit protégé de toutes les pollutions qui pourraient l’affecter (absence d’assainissement, ruissellements urbains, rejets des transports routiers ou même aériens, pollutions agricoles et enfin accidents industriels, agricoles, domestiques ou de transport).
Pour protéger ce périmètre, plusieurs dispositions règlementaires ont été prises conformément à la Directive cadre européenne, à la Loi sur l’eau, au Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) Artois-Picardie, au Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) Marque-Deûle et au Schéma de Cohérence Territoire (SCOT) de l’arrondissement de Lille. Le dispositif législatif et règlementaire européen, national, régional et local vise le bon état écologique et quantitatif des nappes d’eau souterraines (comme celles des masses d’eau de surface).
C’est le Plan Local d’Urbanisme intercommunal de la Métropole de Lille qui en est le garant pour la nappe de la craie du Sud de Lille, appuyé sur un Périmètre d’Intérêt Général (PIG) et une Déclaration d’Utilité Publique (DUP) définissant le périmètre de l’AAC. C’est la Loi Grenelle, quant à elle, qui a précisé les modalités de définition d’une Aire d’Alimentation de Captages (AAC) ainsi que ses différents niveaux de vulnérabilité et de protection. C’est enfin un hydrogéologue désigné par l’Agence Régional de Santé qui a délimité les contours précis aujourd’hui appliqué à l’AAC du Sud de Lille. L’AAC du Sud de Lille est classée dans les « captages prioritaires Grenelle ».
Ces mesures de protection sont plus ou moins strictes selon le niveau de vulnérabilité de chaque portion de territoire de l’AAC, (voir la carte ci-dessous). En zone de vulnérabilité totale et très forte, il n’est plus possible de construire. Les villes et villages concernés voient leurs possibilités de développement totalement remises en question : interdiction de bâtir de nouveaux logements, d’agrandir un cimetière ou d’y aménager de nouvelles routes. En zone de vulnérabilité forte et moyenne, ces règles sont moins contraignantes et l’on voit surgir encore de nouveaux projets (certes soumis à approbation) qui porteront inévitablement atteinte à la recharge de la nappe.
La nappe de la craie du Sud de Lille est considérée en bon état quantitatif mais en mauvais état qualitatif. Et ce, pour plusieurs raisons :
1 – parce que la nappe est en partie alimentée par la Deûle (environ pour 20%) et que la Deûle est polluée (pollutions industrielles historiques, pollutions agricoles),
2 – parce que dans la profondeur de la nappe subsistent des résidus de munitions de la première guerre mondiale (perchlorates) dont la présence n’est pas tolérée pour la santé au dessus d’un certain seuil et que ce seuil peut être atteint en cas de sécheresse prolongée. Il est alors nécessaire de diluer cette eau avec une eau qui en est dépourvue, comme cela l’a été en 2019.
3 – parce que tous les ruisselements urbains et routiers chargés d’hydrocarbures et de particules fines ne sont pas collectés ou filtrés et donc que partie d’entre eux se déversent dans le milieu naturel. L’AAC est notamment parcouru par un réseau de petites routes qui ne sont bordées que de fossés de terre.
4 – par défaut d’assainissement persistant sur certaines habitations.
5 – en raison des nitrates utilisés dans de nombreuses pratiques agricoles, qui sont partiellement transférés à la nappe. Il faut toutefois noter qu’en zone de vulnérabilité totale, les agriculteurs sont soumis à des obligations environnementales rigoureuses.
6 – en raison de pollutions industrielles chroniques diverses.
7 – par accidents, relevant de ces différentes catégories.
La modélisation de la nappe de la craie du Sud de Lille a été réalisée par le Service national géologique à savoir le Bureau de Recherches Géologique et Minière (BRGM), basé à Douai. Dans une étude parue pour évaluer l’impact d’hypothèses d’urbanisation sur le Sud de Lille, en 2016, le BRGM précisait qu’une baisse de recharge de 10% de la nappe remettrait en cause sa potabilité. En effet, la concentration de pollution y serait plus grande, à laquelle s’ajouterait l’augmentation de la recharge par la Deûle, elle-même polluée. Cette étude est téléchargeable ici. Elle a permis au Préfet, en 2018, d’exiger l’abandon de ces scénarios d’urbanisation dans le PLU2 alors en cours de révision, même s’il a maintenu son soutien à certains projets d’ordre économique (Eurasanté, Aéroport de Lille-Lesquin…).
Ainsi, le bon état quantitatif de la nappe de la craie est trompeur et sa vulnérabilité est en réalité immense, et cela est accentué par le dérèglement climatique qui perturbe grandement la régularité des précipitations.
En effet, pour que la recharge en eaux pluviales soit efficace (c’est à dire qu’il y ait peu de pertes entre la quantité d’eau de pluie qui tombe au sol et celle qui rejoint la nappe), il faut que ces pluies aient lieu entre novembre et mars, de façon régulière et pas trop vigoureuse. D’une part, de très fortes pluies ne sont pas totalement absorbées car les sols, alors gorgés d’eau, induisent du ruissellement vers les cours d’eau. D’autre part, à partir du printemps, l’eau pluviale est en partie captée par la végétation en croissance et l’été, en partie évaporée. C’est ainsi qu’entre 2027 et 2019, trois hivers insuffisemment pluvieux et trois printemps très chauds ont conduit à des arrêtés sécheresse. En 2019, la MEL a même frôlé la rupture d’alimentation en eau potable.
Ces enjeux économiques, de logements ou d’équipements encore autorisés en zone de vulnérabilité forte et moyenne interrogent. Qu’en est-il du maintien de l’intégrité des espaces non bâtis (champs, espaces verts) garantissant la perméabilité du territoire et donc la recharge de la nappe ? Le niveau de risque d’accidents augmente-il ou décroît-il, quels sont les accidents envisageables et comment nous en prémunissons-nous ? Quels sont les critères d’arbitrages qui conduisent à des décisions d’artificialisation des sols ? Quel type d’activité économique est-il raisonnable d’accueillir ? Comment réduire le trafic routier sur ce territoire ? Pourquoi telle partie du territoire ne bénéficie-t-elle pas du même niveau de protection que telle autre partie qui semble bénéficier du même niveau de vulnérabilité ? Pourquoi le territoire accueille-t-il encore de nouveaux projets d’activités économiques stockant des produits dangereux ? Qu’en est-il de la pertinence de la traduction réglementaire de la Directive Cadre Européenne et de la Loi sur l’Eau ? Certains ajustements sont-ils nécessaires ?
D’autres questions se posent : comment le dérèglement climatique affectera-t-il la recharge de la nappe, quels scénarios sont envisagés et que mettre en place s’il n’est plus possible de répondre à l’ensemble des besoins en eau potable ? Quels sont les usages prioritaires et comment organiser alors l’accès à l’eau ?
Enfin, ce petit territoire est vaste et accueille une multitude de réalités, de paysages, d’histoires mais aussi de métiers, de gestionnaires, d’intervenants, de décideurs et de cadres réglementaires : grandes infrastructures de transport (TGV, aéroport, train, A1), transport fluvial et port industriel, zones industrielles, anciens villages et leur récente ceinture périurbaine, petit réseau serré de routes métropolitaines, carrières, sites d’enfouissement de déchets inertes, anciennes activités minières, catiches (anciennes carrières souterraines) et grandes cultures agricoles céréalières et légumières, grand parc de loisirs (le Parc de la Deûle avec le Parc Mosaïc, le Parc de la Canteraine, le Parc de la Tortue, et les berges de la Deûle…), chasse et pêche…. Comment sensibiliser chacun à la protection de la ressource en eau et aux vigilances propres à l’identité et aux usages de chaque pratique et de chaque micro territoire ?
Comment les citoyens peuvent-ils s’emparer de ces questions et relayer l’ensemble des observations issues de leur immense connaissance du territoire, de son histoire et de son fonctionnement ? Comment leurs propositions peuvent-elles être entendues ? Peuvent-elles ouvrir certains champs du possible, favoriser certaines mises en place, certaines coopérations et telle ou telle alliance ? C’est la question même de ce Portrait Nature.
Nous souhaitons que demain, ce diagnostic participatif puisse faire émerger un futur réseau des Ateliers citoyens des Champs Captants du Sud de Lille, à même de prolonger cette mobilisation, de continuer à porter les projets qui en découleront, à animer des programmes d’actions, des chantiers participatifs, des visites guidées, des partenariats, du dialogue territorial, etc, etc.